Artemisia annua vs Cistus incanus : comparaison phytothérapeutique complète
Artemisia annua vs Cistus incanus : comprendre les similarités et différences d'usages en phytothérapie.
Présentation générale des deux plantes
Artemisia annua : description, histoire et tradition
Artemisia annua, ou armoise annuelle, est une plante herbacée annuelle de la famille des Astéracées. Originaire d’Asie tempérée, elle s’est acclimatée dans diverses régions du globe. Elle peut atteindre plus de 2 m de haut, avec un feuillage vert clair très découpé et aromatique. Ses fleurs sont de petits capitules jaunâtres discrets.
Traditionnellement, l’armoise annuelle est utilisée en médecine chinoise depuis plus de 2 000 ans. Elle est mentionnée dans le Shénnóng Běncǎo Jīng pour traiter les fièvres, notamment le paludisme. Dans les années 1970, le Projet 523 en Chine a conduit à l’isolement de l’artémisinine, son principe actif majeur, par la chercheuse Tu Youyou. L’artémisinine est une lactone sesquiterpénique à pont peroxyde, responsable de l’effet antipaludique majeur de la plante.
Aujourd’hui, A. annua est surtout connue pour avoir révolutionné le traitement du paludisme : l’artémisinine extraite de la plante est utilisée dans des médicaments antipaludiques très efficaces (les ACT). En phytothérapie et en herboristerie, on la trouve parfois sous forme de tisanes, de poudres en gélules ou de teintures mères, bien que son usage interne soit strictement encadré en Europe.
Principaux constituants actifs :
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Artémisinine et ses dérivés
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Flavonoïdes variés (artémétine, chrysosplénol, quercétine…)
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Coumarines
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Acides phénoliques
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Huile essentielle (camphre, 1,8-cinéole…)
La teneur en artémisinine varie beaucoup (0,01 % à 1,4 % en poids sec). La tisane traditionnelle d’Artemisia annua est une source riche en polyphénols antioxydants en plus de contenir de l’artémisinine.
Cistus incanus : description, histoire et tradition
Cistus incanus est un arbrisseau méditerranéen de la famille des Cistacées. Il est surnommé « ciste à feuilles de sauge » ou « ciste pourpre » en raison de ses fleurs rose magenta vif à l’aspect chiffonné. Les feuilles et tiges sont riches en résine aromatique (le ladanum).
Le ciste incanus est une plante emblématique du bassin méditerranéen, poussant dans la garrigue et le maquis sur sols arides. Connue depuis l’Antiquité, sa résine était utilisée comme encens, baume antiseptique et remède contre la toux. En médecine populaire, les infusions de feuilles de ciste étaient préconisées pour les affections respiratoires, les diarrhées et les plaies. Aujourd’hui, Cistus incanus est surtout disponible sous forme de tisane ou de gélules d’extrait.
Principaux constituants actifs :
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Polyphénols (flavonoïdes, proanthocyanidines, ellagitanins)
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Huiles essentielles (sesquiterpènes, monoterpènes)
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Diterpènes
La richesse en polyphénols du Cistus est telle que ses infusions surpassent souvent d’autres plantes en capacité antioxydante.
Comparatif des propriétés thérapeutiques
Activités antivirales et effets immunomodulateurs
Artemisia annua
Des études récentes indiquent que A. annua et surtout l’artémisinine possèdent des effets antiviraux notables. In vitro, des extraits d’armoise annuelle peuvent inhiber la réplication de virus tels que le virus de la grippe A, certains coronavirus, le virus de l’hépatite C, etc. L’artémisinine et ses dérivés semblent interférer avec la réplication virale et moduler la réponse immunitaire. On a montré une activité contre le cytomégalovirus, le virus Ebola, la dengue, et même le SARS-CoV-2, bien que ces données soient encore préliminaires. L’armoise exerce aussi un effet immunomodulateur : modulation de la production de cytokines et atténuation de certaines réponses inflammatoires excessives. Cependant, les données cliniques manquent chez l’humain (pas d’essais contrôlés probants à ce jour pour confirmer un effet antiviral, hormis l’action antiparasitaire antipaludique).
Cistus incanus
Le ciste est bien connu pour ses vertus antivirales. Ses polyphénols forment un « bouclier » empêchant les virus de pénétrer dans les cellules. Un extrait aqueux de Cistus (CYSTUS052) bloque l’attachement du virus de la grippe A sur les cellules cibles, avec une inhibition in vitro de 90 % sur des souches de grippe aviaire H7N7. Ce même extrait a montré une activité inhibitrice sur le VIH-1, Ebola et Marburg en culture cellulaire. Une étude clinique randomisée a montré une réduction significative des symptômes du rhume chez les patients traités par extrait de ciste, avec une baisse de l’inflammation. Sur le plan immunitaire, Cistus incanus montre aussi des propriétés anti-inflammatoires et immunomodulatrices : inhibition de la production de cytokines pro-inflammatoires (IL-6) et augmentation de cytokines régulatrices (IL-10).
En résumé : Les deux plantes présentent un potentiel antiviral intéressant, avec des mécanismes complémentaires : Artemisia agit sur la réplication virale et l’immunité, Cistus forme un piège à virus extracellulaire. Cependant, aucune des deux n’est reconnue comme antiviral clinique de référence.
Activités antioxydantes et anti-inflammatoires
Artemisia annua
La plante contient de nombreux flavonoïdes antioxydants. Les extraits de feuilles possèdent une bonne capacité à neutraliser les radicaux libres. L’artémisinine en elle-même n’est pas un antioxydant, mais la tisane d’Artemisia annua apporte une charge en polyphénols antioxydants. Sur le plan anti-inflammatoire, Artemisia annua et ses dérivés ont des propriétés anti-inflammatoires et immunorégulatrices marquées : inhibition de la voie NF-κB et de la production de cytokines pro-inflammatoires (TNF-α, IL-1β).
Cistus incanus
Le ciste brille par son puissant pouvoir antioxydant. Grâce à sa forte teneur en polyphénols, ses extraits neutralisent efficacement les radicaux libres. Les infusions de Cistus incanus figurent parmi les plantes médicinales les plus antioxydantes. Cette action antioxydante se double d’un effet anti-glycation. Sur le plan anti-inflammatoire, le ciste est utilisé en usage externe pour calmer les irritations de la peau et, en interne, ses extraits réduisent les marqueurs d’inflammation (diminution de CRP, baisse de production d’IL-6, augmentation d’IL-10).
Comparativement : Cistus incanus est nettement plus antioxydant qu’Artemisia annua.
Autres propriétés : antimicrobiennes, digestives, etc.
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Artemisia annua : Activité antiparasitaire puissante (paludisme, parasites intestinaux), effets antibactériens modérés, propriétés digestives (stimulation de l’appétit, effet carminatif).
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Cistus incanus : Activité antibactérienne, antifongique, astringente (utile en cas de diarrhée), effets bénéfiques sur la flore buccale (gargarismes).
Aspects réglementaires et précautions d’emploi
Artemisia annua
En Europe, l’usage interne est strictement encadré. L’emploi de la plante en automédication par voie orale est déconseillé, sauf dans le cadre de médicaments antipaludiques validés.
L’usage externe (bains, lotions) reste autorisé. Il existe un risque d’effets secondaires, d’interactions médicamenteuses et de toxicité en cas de surdosage ou d’utilisation prolongée.
Cistus incanus
Le ciste est disponible en tisane, gélules ou extraits, sans restriction majeure en Europe, mais aucune allégation médicale n’est autorisée hors compléments alimentaires. Il est bien toléré, même en usage prolongé, à condition de respecter les doses recommandées.
Tableau comparatif synthétique
Propriété | Artemisia annua | Cistus incanus |
---|---|---|
Principaux actifs | Artémisinine, flavonoïdes | Polyphénols, flavonoïdes |
Activité antivirale | In vitro, prometteuse | In vitro + essais cliniques |
Activité antioxydante | Moyenne | Très élevée |
Activité anti-inflammatoire | Modérée à forte | Forte |
Activité antimicrobienne | Modérée | Forte |
Réglementation | Usage interne restreint | Usage libre (hors allégations) |
Usages traditionnels | Paludisme, fièvres, digestion | Infections, immunité, digestion |
Conclusion
Artemisia annua et Cistus incanus sont deux plantes médicinales aux propriétés complémentaires : l’armoise annuelle est une arme majeure contre le paludisme et possède un potentiel antiviral et immunomodulateur prometteur, tandis que le ciste incanus brille par ses vertus antioxydantes, anti-inflammatoires et antivirales validées pour les infections respiratoires bénignes. Leur usage doit cependant tenir compte du cadre réglementaire et des précautions d’emploi, en particulier pour Artemisia annua. Ces deux plantes illustrent la richesse de la phytothérapie moderne, à la croisée de la tradition et de la recherche scientifique.
Références bibliographiques
Les principales sources utilisées :
- Kalus, U. et al. (2009) ‘Cistus incanus (CYSTUS052) for treating patients with infection of the upper respiratory tract’, Antiviral Research, 84(3), pp. 267-271. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19828122/
- Nair, M.S. et al. (2021) ‘Artemisia annua L. extracts inhibit the in vitro replication of SARS-CoV-2 and two of its variants’, Journal of Ethnopharmacology, 274, 114016. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33716085/
- Droebner, K. et al. (2007) ‘CYSTUS052, a polyphenol-rich plant extract, exerts anti-influenza virus activity in mice’, Antiviral Research, 76(1), pp. 1-10. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17573133/
- European Commission (2022) ‘Commission Implementing Regulation (EU) 2022/202 – correction of the Union list of novel foods’, Official Journal of the European Union. https://eur-lex.europa.eu/…/32022R0202
- NobelPrize.org (2025) ‘Tu Youyou – Facts’. https://www.nobelprize.org/…/facts/
- RASFF (2023) ‘Notification 557574 – Artemisia annua not authorised for food use’. https://webgate.ec.europa.eu/…/557574
- Ehrhardt, C. et al. (2007) ‘A polyphenol-rich plant extract, CYSTUS052, exerts anti-influenza activity in cell culture without toxic side-effects’, Antiviral Research, 76(1), pp. 38-47. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17572513/