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Le Quinquina : de remède sacré à apéritif emblématique

Le Quinquina : de remède sacré à apéritif emblématique

Le mot "quinquina" évoque un parcours fascinant à travers l'histoire, depuis les brumes mystérieuses des Andes jusqu'aux terrasses ensoleillées des cafés français.

Cette plante exceptionnelle a su traverser les siècles et les continents, se métamorphosant d'un remède ancestral des peuples autochtones sud-américains en pilier de la médecine occidentale, avant de conquérir le monde des apéritifs.

Ce parcours botanique, médical et culturel témoigne de l'extraordinaire adaptabilité d'une plante devenue emblématique de plusieurs traditions.

Les origines andines : une plante des hautes montagnes

Le quinquina (Cinchona spp.) est un arbre originaire des forêts humides d'altitude de la cordillère des Andes. Sa zone de répartition naturelle s'étend du Venezuela à la Bolivie, entre 10° de latitude nord et 22° de latitude sud environ, englobant également la Colombie, l'Équateur et surtout le Pérou5. Ces régions montagneuses, avec leur climat équatorial d'altitude, ont constitué le berceau idéal pour le développement de cet arbre aux propriétés exceptionnelles.

L'écorce de quinquina était utilisée depuis des temps immémoriaux par les populations locales pour traiter différents maux, particulièrement les fièvres intermittentes. Selon la tradition, les connaissances sur les vertus thérapeutiques de cette plante se seraient transmises de génération en génération parmi les populations indigènes.

L'appellation même de la plante témoigne de son importance dans la culture locale. Le terme "Kina-Kina", donné par les Indiens, signifie littéralement "véritable écorce des écorces", soulignant ainsi son statut privilégié dans la pharmacopée traditionnelle4.

La révolution thérapeutique en Europe : entre mythe et réalité

L'introduction du quinquina en Europe est entourée de récits parfois contradictoires, entre histoire et légende. Plusieurs sources s'accordent à dire que c'est au XVIIe siècle que cette plante médicinale traverse l'Atlantique, mais les détails varient.

La légende de la comtesse

L'une des histoires les plus connues concerne Ana de Osorio (1599-1625), épouse du vice-roi du Pérou, Luis de Cabrera, 4e comte de Chinchón. Selon cette version, son mari aurait apporté le quinquina en Europe en 1632 et fait connaître ses vertus fébrifuges à la Cour d'Espagne, après que son épouse eut été guérie grâce à cette plante. Cette histoire est si célèbre que Carl von Linné, père de la taxonomie moderne, donna le nom de genre Cinchona à la plante (en oubliant le premier "h" du nom Chinchón). Par la suite, les chimistes Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou nommèrent "cinchonine" l'un des alcaloïdes présents dans l'écorce1.

Cependant, plusieurs historiens considèrent aujourd'hui que ce récit pourrait être largement mythifié. Certains auteurs vont jusqu'à le qualifier de "simplement fallacieux"1.

Le rôle crucial des Jésuites

Les documents historiques attribuent un rôle déterminant aux missionnaires jésuites dans l'introduction et la diffusion du quinquina en Europe. En 1642, le père Alonso Messia Venegas fut chargé d'en emporter à Rome. Le cardinal Juan de Lugo, personnage influent et passionné de médecine, contribua grandement à faire connaître ce qui fut alors appelé la "poudre des jésuites"2.

La Compagnie de Jésus établit rapidement un véritable réseau de distribution à travers l'Europe. Chaque jésuite voyageant d'Amérique du Sud vers l'Europe emportait dans ses bagages de grandes quantités d'écorce de quinquina. Ce réseau efficace permit une diffusion rapide du remède à travers tout le continent. Dans les années 1650, le médicament était déjà connu dans les collèges jésuites de Gênes, Louvain, Lyon et Ratisbonne2. Pendant près d'un siècle, jusqu'à la suppression de l'ordre en 1773, les Jésuites conservèrent pratiquement le monopole de ce commerce2.

Selon d'autres sources, le quinquina n'aurait été rapporté du Pérou en Espagne qu'en 16384. Cette introduction tardive en Europe s'explique notamment par la distance et les difficultés de conservation et de transport des plantes médicinales à cette époque.

De l'écorce à la molécule : l'isolement de la quinine

L'efficacité du quinquina contre les fièvres intermittentes et notamment le paludisme (malaria) fit rapidement sa renommée. Cependant, c'est l'extraction et l'identification de son principe actif, la quinine, qui marqua un tournant majeur dans l'histoire de cette plante.

Au début du XIXe siècle, les chimistes français Pierre Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou réussirent à isoler la quinine et la cinchonine, les principaux alcaloïdes du quinquina. Cette avancée scientifique permit d'administrer le traitement de façon plus précise et efficace.

Le processus d'extraction de la quinine s'avère complexe. Il nécessite plusieurs étapes, comme en témoignent les protocoles d'extraction du sulfate basique de quinine à partir de la poudre de quinquina. La méthode implique l'utilisation de chaux et de soude pour débloquer les alcaloïdes, suivie d'une extraction par solvant (dichlorométhane), puis d'une purification en milieu acide avant la précipitation finale du sulfate basique de quinine3.

La mondialisation de la culture : du Sud-Américain à l'Asiatique

Face à la demande croissante en écorce de quinquina et à la raréfaction des ressources naturelles en Amérique du Sud, les puissances coloniales européennes cherchèrent à développer des plantations dans leurs territoires d'outre-mer.

Le triomphe de Java

C'est à Java, dans les Indes néerlandaises (l'actuelle Indonésie), que la culture du quinquina connut son plus grand succès. Les Hollandais développèrent une agriculture savante qui leur permit d'établir pratiquement un monopole sur la production mondiale. Ce succès est considéré comme "le plus éclatant peut-être de tous les triomphes remportés par l'agriculture savante des Hollandais aux Indes Néerlandaises"5.

Les conditions de culture à Java sont très spécifiques. Le quinquina y est cultivé entre 1000 et 1800 mètres d'altitude, avec une préférence pour la zone entre 1200 et 1650 mètres. En dessous de 1200 mètres, les arbres ont une durée de vie plus courte (environ quinze ans) et sont plus vulnérables aux maladies. Au-dessus de 1700 mètres, leur croissance ralentit et leur rendement diminue5.

La pluviométrie joue également un rôle crucial : à Java, dans la principale zone de culture, les précipitations annuelles oscillent entre 1,80 et 2,25 mètres. Le quinquina exige au minimum 1,50 mètre de pluie par an, sans période sèche prolongée. La température doit être modérée, ni trop haute ni trop basse - un équilibre parfaitement atteint à ces altitudes tropicales5.

Contrairement à sa région d'origine où le quinquina pouvait croître à l'état sauvage sur des sols relativement pauvres, à Java, il bénéficie de sols riches et de soins minutieux. Il est devenu exclusivement une plante de plantation européenne, les populations locales se contentant de fournir la main-d'œuvre5.

De la pharmacie au bistrot : naissance de l'apéritif au quinquina

C'est au XIXe siècle que s'opère la transformation la plus surprenante dans l'histoire du quinquina : son passage du statut de médicament à celui d'apéritif apprécié.

L'origine d'un nouveau breuvage

Face à l'amertume prononcée de la quinine, des pharmaciens et liquoristes eurent l'idée ingénieuse de la dissoudre dans du vin, adouci avec du sucre et aromatisé avec diverses plantes et épices. Ce qui était au départ une façon d'administrer un médicament désagréable devint progressivement une boisson appréciée pour elle-même.

La transformation débuta par la création de toniques, à la frontière entre médicament et boisson de plaisir. Ces préparations étaient souvent prescrites pour leurs vertus fortifiantes et digestives, notamment pour les personnes convalescentes, les femmes anémiées ou les soldats partant aux colonies.

L'élaboration des vins au quinquina

La méthode traditionnelle d'élaboration d'un vin au quinquina implique plusieurs étapes. La base est généralement une "mistelle", obtenue par mutage du jus de raisins à l'alcool pour en arrêter la fermentation et conserver le sucre naturel des raisins. Ensuite, les écorces de quinquina et d'autres ingrédients comme les écorces d'oranges amères, la vanille, le cacao ou encore diverses épices macèrent lentement dans l'alcool, jusqu'à l'absorption complète des arômes4.

Le Maître de Chai joue un rôle déterminant dans l'équilibre final du produit. Les dernières étapes comprennent la réfrigération, la filtration et l'embouteillage4.

Les grandes marques et la popularisation du quinquina

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs marques emblématiques de vins au quinquina voient le jour en France et en Italie, contribuant à populariser ce type d'apéritif.

Un panthéon de marques célèbres

Parmi les plus célèbres, on peut citer :

  • Byrrh, créé à Thuir dans les Pyrénées-Orientales en 18667

  • Dubonnet, créé en 1846 spécifiquement pour les soldats français des colonies

  • Saint-Raphaël, dont la recette associe vins nobles et plantes aromatiques soigneusement sélectionnées

  • Cap Corse Mattei, spécialité corse devenue emblématique

  • Bonal Gentiane Quina, qui associe le quinquina à la gentiane

  • Lillet, dont la variante "Quina Lillet" a connu un grand succès6

D'autres marques comme Kina Karo (originaire des Corbières), Madaskina, Cocchi Americano ou Contratto Americano Rosso ont également contribué à diversifier l'offre6.

En Italie, une variante sous forme de liqueur appelée Amaro perpétue la tradition du quinquina6.

Caractéristiques gustatives

Les vins au quinquina se caractérisent par un équilibre subtil entre l'amertume apportée par l'écorce de quinquina et la douceur du vin. Par exemple, Saint-Raphaël Rouge est décrit comme "chaleureux, fruité et racé en bouche", avec une "belle couleur rubis" due à sa base de vins rouges. Les écorces de quinquina et d'oranges amères rehaussent son parfum et affirment son caractère, tout en restant doux en bouche4.

La version ambrée du même apéritif est réputée pour sa douceur et sa fraîcheur, avec un arôme parfumé issu d'une aromatisation subtile4.

L'âge d'or et le déclin temporaire

Les vins au quinquina connurent leur apogée dans la première moitié du XXe siècle, devenant des symboles de la convivialité française et des piliers de la culture du café.

Le règne des grandes affiches

Une partie du succès des quinquinas s'explique par des campagnes publicitaires innovantes. Des affiches Art déco aux couleurs vives, créées par des illustrateurs de renom, ornaient les murs des villes françaises. Le fameux slogan "Dubo, Dubon, Dubonnet" a marqué plusieurs générations. Ces publicités associaient les quinquinas à un art de vivre moderne et sophistiqué.

Le déclin face aux nouvelles modes

À partir des années 1960-1970, les habitudes de consommation évoluent. De nouvelles boissons, comme les anisés, les whiskies et les cocktails exotiques, séduisent le public. Le goût amer, autrefois apprécié pour ses vertus digestives, passe de mode. Les quinquinas, associés aux générations plus âgées, perdent progressivement de leur attrait auprès des jeunes consommateurs.

Renaissance contemporaine : le retour aux sources

Depuis une dizaine d'années, on assiste à un regain d'intérêt pour les apéritifs traditionnels, dont les quinquinas. Ce renouveau s'inscrit dans une tendance plus large de redécouverte des produits authentiques et des saveurs complexes.

Un nouvel engouement

Les mixologues et bartenders s'intéressent à nouveau à ces apéritifs vintage, les intégrant dans des cocktails sophistiqués. Les consommateurs, lassés des produits standardisés, redécouvrent avec plaisir ces boissons aux profils aromatiques riches et complexes.

Le quinquina devient aussi un symbole du "slow drinking", cette façon de consommer des boissons de caractère, à déguster lentement en appréciant leurs nuances. Les notes amères, autrefois délaissées, sont à nouveau valorisées pour leur complexité et leurs vertus digestives.

Le retour des préparations artisanales

Parallèlement, on observe un intérêt croissant pour les préparations pour vin au Quinquina maison comme celle de Tradition Nature depuis 2005. Des projets de fabrication artisanale de vins au quinquina émergent, s'inspirant des recettes traditionnelles tout en les adaptant aux goûts contemporains.

Cette tendance s'inscrit dans un mouvement plus large de réappropriation des savoir-faire traditionnels et de recherche d'authenticité. Préparer son propre vin au quinquina devient ainsi un acte de connexion avec une tradition séculaire, tout en permettant une personnalisation selon ses préférences gustatives.

Conclusion : le quinquina, témoin d'une histoire globale

L'histoire du quinquina est emblématique des échanges entre civilisations et des transformations culturelles qui ont façonné notre monde. D'une plante médicinale des hautes montagnes andines à un apéritif emblématique des terrasses françaises, le quinquina a su traverser les siècles en se réinventant constamment.

Son parcours illustre aussi les liens complexes entre médecine et gastronomie, entre science et plaisir. Ce qui était à l'origine un remède salvateur contre des maladies mortelles est devenu un symbole de convivialité et de raffinement.

Aujourd'hui, alors que nous redécouvrons les vertus des plantes médicinales et que nous valorisons à nouveau les produits artisanaux chargés d'histoire, le quinquina pourrait bien connaître une nouvelle renaissance, témoignant une fois de plus de sa remarquable capacité d'adaptation aux évolutions de nos sociétés.

Cette écorce amère venue des Andes nous rappelle que les savoirs traditionnels, loin d'être de simples vestiges du passé, constituent un patrimoine vivant qui continue d'enrichir notre quotidien, entre santé et plaisir, entre nature et culture.

 

Sources :

Légende historique centrale dans l'introduction du quinquina en Europe

Comtesse de Chinchón - Wikipédia

"Le plus éclatant triomphe de l'agriculture hollandaise aux Indes Néerlandaises"

Persée - Géographie (1942)

Description officielle des recettes historiques de quinquina

Saint-Raphaël - Nos apéritifs

Médicament historique à base de quinquina remboursé par la Sécurité Sociale

Plantes & Santé

Analyse du rôle social des apéritifs au quinquina dans la France du XXe siècle

Galerie 123

Dossier complet sur l'extraction industrielle de la quinine

Mediachimie

Reportage sur la situation actuelle du quinquina au Pérou

GEO

Recette artisanale contemporaine de quinquina maison

Tradition Nature

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